Génération Y et Z : les canaris sacrifiés de l’entreprise

Version intégrale de l’article publié par Nelta France le 24 novembre 2016 dans Les Echos

 

Exigeants, incontrôlables, indépendants, opportunistes, voire pire : « différents ».

Les générations Y et Z affolent l’entreprise. Elles réclament, dénoncent et n’hésitent pas à mettre les actes en adéquation avec la parole en adoptant des trajectoires de carrière de saut de puces qui peuvent laisser craindre une vision court-termiste.

Mais surtout elles passionnent chercheurs, DRH et sociologues. Pas question ici d’apporter une pierre de plus au monticule d’articles, d’éditos et d’études qui tentent de cerner le phénomène. Concentrons-nous très vite sur les conséquences à tirer en matière de gestion des talents.

La conséquence la plus immédiate est une forme d’adaptation en cours dans la gestion des carrières dans l’entreprise. 2 exemples semblent assez significatifs à cet égard :

L’Oréal, traditionnel eldorado des jeunes diplômés, a dû se résoudre à revoir sa politique de gestion des carrières en mettant un terme à la sacro-sainte règle du « quand on quitte L’Oréal un jour, c’est pour toujours ». Pour s’adapter à des talents butineurs, le Groupe accepte désormais de rembaucher d’anciens collaborateurs qui avaient ressenti le besoin d’aller vérifier de leurs propres yeux que l’herbe est plus/moins/différemment verte ailleurs. Ces « repentis » ou « revenants » représentent déjà 6% des embauches du Groupe.

Plus emblématique encore, l’annonce début septembre 2016 par General Electric de la suppression de l’évaluation annuelle des collaborateurs. Parmi les principaux arguments évoqués, les communiqués de presse citent de nouveaux profils de collaborateurs qui attendent des retours plus fréquents, le besoin de gérer plutôt des priorités sur quelques semaines que des projets annuels.

Ces deux exemples le prouvent, toutes les entreprises pour lesquelles la marque employeur et l’attractivité des jeunes talents sont stratégiques ont intégré les nouvelles règles du jeu et prennent des mesures adaptées.

Et pour les autres entreprises ?

En tant que cabinet de conseil en ressources humaines, nous sommes régulièrement confrontés à des dirigeants qui minimisent le phénomène. Pour eux, les générations Y et Z sont une « tendance », et comme toute tendance, elle passera ou se fondra dans la masse. Notre analyse est légèrement différente.

La quête de sens, l’envie de reconnaissance, la curiosité que l’on attribue aux GenY et GenZ n’est pas leur propriété exclusive. Ce qui les caractérise c’est qu’ils expriment ces sentiments à haute voix ! D’autres collaborateurs, appartenant à d’autres strates générationnelles partagent les mêmes aspirations mais restent frustrés en silence.

Ainsi, lorsque les dirigeants focalisent leur attention sur ces jeunes talents, ils se focalisent sur l’arbre qui cache la forêt.

Pour être plus précis, l’image la plus parlante est peut être cette tradition dans les sous-marins qui veut que chaque équipage embarque un canari à bord. Cet animal étant plus sensible que l’homme au manque d’oxygène, s’il montre des signes de détresse respiratoire ou s’il perd connaissance, cela alerte l’équipage sur une défaillance dans le circuit de traitement de l’air.

Les générations Y et Z sont ce canari. Ils ne sont pas foncièrement différents, ils ressentent simplement plus intensément que les autres, ou avant les autres les limites d’une entreprise en matière d’organisation ou de management… et ils le disent !

Notre conseil est donc le suivant : plutôt que d’isoler ces bêtes malades et contagieuses que sont les GenY et GenZ, servons nous d’eux comme un indicateur du malaise caché dans les différentes couches de salariés. Prenons en compte leurs aspirations comme un précieux signal faible du niveau d’épanouissement de la majorité silencieuse.

Cela implique rapidement de revoir de fond en comble toutes les étapes de la gestion de carrière d’un collaborateur. Parmi les attentes incontournables que nous pouvons identifier, citons la frontière de plus en plus poreuse entre vie privée et vie professionnelle et l’aspiration à une entreprise qui s’adapte au style de vie du collaborateur et non l’inverse.

En matière de formation et de développement des compétences, fini le catalogue sur papier glacé des formations référencées. Les collaborateurs veulent du sur-mesure. Pour une génération élevée dans un monde où personnaliser son smartphone, sa voiture, ses baskets, etc. devient un standard, c’est à l’outil de s’adapter à l’individu et non l’inverse.

Pour les responsables formation, RH et accompagnement des cadres dirigeants un nouveau positionnement s’impose : celui de conseiller, de partenaire qui soigne la qualité de relation avec son « client interne ». Terminé la posture qui consiste à envoyer une sélection de prestataires référencés : les talents et dirigeants souhaitent que l’on prenne le temps de les écouter, de comprendre la spécificité de leur besoin puis que l’on aille chercher le prestataire correspondant sur le marché – en espérant le trouver.

Pour les entreprises de formation c’est également un défi. Excepté pour quelques besoins récurrents et destinés à des niveaux intermédiaires, difficile d’espérer industrialiser un format ou un programme de formation. Il va falloir s’habituer à être consulté pour une poignée de besoins, et plus pour des formats génériques déployés de manière globale dans le groupe. Cette agilité impacte donc leur modèle économique et leur organisation interne. Difficile d’imaginer une foule de formateurs salariés en CDI à temps complet quand les besoins changent d’un cas à l’autre. Place au réseau d’intervenants experts freelance, et donc in fine – pour reprendre un terme à la mode – l’ubérisation de l’accompagnement des talents – que nous développerons dans un prochain article.

Cette accélération de la mutation des attentes et des besoins donne lieu à l’émergence de nouveaux formats conçus pour les talents et dirigeants :

-Job swap externe pour permettre à un collaborateur stratégique d’aller s’aérer ponctuellement sur une autre fonction dans une autre entreprise que la sienne pour enrichir son expérience et au final le fidéliser en canalisant ses envies d’ailleurs ;

-Action learning pour apprendre en situation et hors des murs, à travers la mise en pratique avec des experts : efficacité collective avec des sportifs de haut niveau, gestion de projet complexe avec des unités d’élite en charge des situations d’exception, nouvelle approche du management et du leadership à travers le travail au contact de comportementalistes animaliers ;

-Réalité virtuelle pour des expériences d’apprentissage à distance, intenses, et immergées ;

-Ultra-personnalisation des parcours qui peut par exemple se traduire par la création de voyages apprenants (learning expedition) dédiés à des sujets transversaux (diversité, leadership, innovation, etc.) mais aussi à des problématiques spécifique à un groupe de dirigeants d’une entreprise (digitalisation de la fidélisation client, relation entre grands groupes et start-up, smart-cities, etc.).

Mais également un retour au premier plan du besoin de contact humain canalisé par du mentoring, du co-développement, des méthodes agiles, etc.

Difficile de suivre les tendances et l’accélération du phénomène pour des équipes RH qui doivent gérer une multitude d’autres sujets. C’est pourquoi cette ultra-personnalisation des besoins initiée par les Générations Y & Z fait émerger des besoins de conseil dans le suivi et la sélection des meilleurs outils, intervenants et stratégies pour fidéliser les talents et dirigeants qui font l’entreprise. En résumé, pour une fois, c’est le Canari qui force le sous-marin à changer de cap.

 

Michel FONT – Nelta France – Les Echos 24 novembre 2016

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